Christian Piot raconte ses souvenirs du Standard : “Les joueurs me demandaient où était Jean, sa femme m’a appelé”
L’ancien gardien du Standard (1968-78) se raconte au fil de quelques-unes des histoires et anecdotes qui ont jalonné son passage en bord de Meuse.
- Publié le 26-04-2024 à 06h39
- Mis à jour le 26-04-2024 à 09h14
Christian Piot (76 ans) a été une légende du Standard. Au cours d’une saison compliquée lors de laquelle le club fête ses 125 ans, le rappel des souvenirs est une manière de ramener un peu de nostalgie. Gardien de l’équipe triple championne de Belgique entre 1969 et 1971, Soulier d’or 1972, Piot reste un spectateur attentif de l’actualité des Rouches, dont il suit tous les matchs à Sclessin.
Il formait un quatuor de fabuleux anciens, avec Wilfried Van Moer, Léon Semmeling et Eric Gerets, installés en tribune d’honneur. Piot, tout comme Gerets, est orphelin de Van Moer et Semmeling, récemment décédé, mais il reste fidèle à son Standard, malgré les temps difficiles. En attendant l’éclaircie pour le futur – “j’ai confiance en 777 Partners”, assure-t-il –, il se raconte.
Il a profité de la “disparition” de Nicolay pour jouer son premier match
L’histoire est connue des plus anciens, mais Christian Piot s’amuse toujours à la raconter, quand on lui demande. Il a disputé son premier match pour le Standard, contre l’Union, après que Jean Nicolay, le titulaire, a “disparu” pendant trois jours.
”Jean aimait bien pêcher, et moi aussi. Un lundi, au lendemain d’un match, il me propose de l’accompagner pour une partie de pêche. On est installé puis Jean va boire un verre à la buvette du club de pêche. Mais il est connu, Jean, et il reste un moment avec les habitués pendant que moi, après l’avoir prévenu, je m’en vais pour aller à l’entraînement – il en était dispensé et devait arriver plus tard pour des soins. Il n’est pas venu aux soins, ni les deux jours suivants…
Les joueurs me demandaient où était Jean, sa femme m’avait appelé le lundi soir parce qu’il n’était pas rentré à la maison. Et puis, le jeudi, il revient à l’entraînement de manière tout à fait normale. Il va voir M. Hauss (l’entraîneur du Standard), et je ne saurai jamais ce qu’il s’est dit dans le bureau mais, le lendemain, quand l’équipe est écrite au tableau pour le match du dimanche, c’est mon nom qui apparaît au but. Louis Pilot lance : Coach, je crois que vous vous êtes trompé, c’est pas Piot mais Nicolay.
J’étais un peu mal à l’aise, car Jean était mon idole de jeunesse, mais il ne m’a jamais rien dit et j’ai joué ce premier match… puis les suivants parce que Jean s’est blessé à l’épaule à la suite d’un contact avec Van Moer, à l’entraînement.”
J’ai dit à Jean : “Nicolay, tu m’emmerdes !” et il m’a répondu : “Tu es prêt, m’gamin”
Christian Piot dispute ses premiers matchs pour le Standard et donne satisfaction. Nicolay reprendra sa place par la suite, et une certaine concurrence, saine, s’est installée entre les deux hommes. “À l’entraînement, Jean m’interpellait, faisait des remarques. Au début, je ne disais rien, puis un jour ça m’a énervé, et je lui ai lâché : Nicolay, tu m’emmerdes ! Il m’a répondu, tout de suite : Tu es prêt m’gamin.
Je ne sais pas s’il attendait cette réaction de ma part, mais lors du dernier match de la saison, à la mi-temps, il m’a pris à part pour me dire, en wallon parce qu’il parlait toujours wallon : tu vas jouer la deuxième mi-temps, ce sera mon cadeau de mariage – j’allais en effet me marier quelques jours après. Après la rencontre, René Hauss a dit à Roger Petit (secrétaire général du Standard) : la saison prochaine, c’est le meilleur des deux qui jouera. Mais Jean est parti au Daring.”
”Cruyff me voulait au Barça et Fontaine au PSG, mais c’était non”
Christian Piot a disputé 322 matchs pour le Standard, entre 1968 et 1978. Il a été un des meilleurs gardiens d’Europe et il n’a pas manqué de propositions de transferts, toujours refusées par Roger Petit. “Un jour, je reçois un appel du manager de Barcelone, qui me dit que Johan Cruyff veut que je rejoigne l’équipe. Je suis flatté de l’intérêt, mais il fallait passer par le Standard. Le lendemain de l’appel, Roger Petit me convoque dans son bureau pour me dire : J’ai appris que tu as reçu un appel de Barcelone. Tu n’iras pas. Il n’y avait pas de discussion possible.
Just Fontaine, quand il a été entraîneur du PSG (1973-76), m’a aussi appelé pour me faire venir. Refus. Marseille, un club italien, tout le monde a été refoulé. Le Club Bruges m’a fait également une très belle proposition, avec voiture, villa et salaire plus intéressant. Mais, inflexible, Roger Petit a encore refusé. Ce jour-là, j’étais un peu énervé et je l’ai fait savoir, d’autant plus que Jean Thissen avait obtenu son transfert à Anderlecht, lui. En contrepartie, j’ai obtenu une prolongation de mon contrat et heureusement, d’une certaine manière, puisqu’en raison de mes blessures au genou, j’ai moins joué ensuite.”
Gardien-tireur de penalty : “J’avais la même technique qu’Eden Hazard”
Christian Piot n’était pas qu’un très bon gardien, puisqu’il tirait aussi les penaltys. “J’en ai marqué dix, rien qu’en championnat”, s’amuse-t-il à compléter. C’est pourtant en Coupe d’Europe que Piot a tiré son premier penalty. “J’aimais tirer les penaltys à l’entraînement, et lors d’un match à Feyenoord, Dolmans, qui était notre tireur attitré, a manqué son essai. J’ai tiré le suivant, et c’était parti. J’en ai raté peu (sourire). Comme j’étais gardien, je connaissais un peu le réflexe d’un gardien. Ma technique consistait à fixer un côté au moment de l’appui, en fonction d’où le gardien allait partir. Un peu dans le style d’Eden Hazard, ou c’est lui qui m’a copié (sourire). Un jour, lors d’un match de Coupe d’été (tournoi amical), j’ai dû tirer trois penaltys lors d’un même match contre Malmö. Au troisième, j’étais un peu ennuyé, parce que je ne savais pas comment encore surprendre le gardien.”
”Le Real Madrid, le plus beau souvenir, et une prime de 120 €”
Dans son classeur des souvenirs, Christian Piot pointe la qualification contre le Real Madrid, en huitièmes de finale de la Coupe des champions 1969, comme son meilleur souvenir. “Le Real de l’époque, avec Gento, était une des bonnes équipes d’Europe. On avait gagné 1-0 à Sclessin, mais on a surtout fait un très bon match à Madrid (succès 2-3). Sur le plan financier, ce n’était pas comme maintenant. On a touché l’équivalent de 120 € de prime pour la qualification (sourire). On touchait l’équivalent de trois salaires d’ouvrier d’usine, ce qui représentait 30 000 anciens francs, auxquels on ajoutait des primes de victoires. On n’était pas professionnel, mais on s’entraînait tous les jours et on n’avait pas de travail sur le côté. Après ma carrière, j’ai appris que Roger Petit n’avait pas cotisé pour notre pension… J’ai donc toujours travaillé après ma carrière, comme adjoint et entraîneur des gardiens au Standard, mais pas seulement : j’ai tenu un magasin d’articles souvenirs à Banneux, j’ai travaillé dans une boulangerie, j’ai été gestionnaire de stock dans une entreprise de matériaux d’isolation. J’aide encore mes enfants, maintenant, cela me permet de rester actif.”
Il a connu Preud’homme gamin avant de lui laisser la place
Christian Piot a dû mettre un terme à sa carrière à l’âge de 30 ans, en raison de blessures récurrentes au genou. “La dernière, c’était lors d’un entraînement : sur une simple frappe de Riedl, que je veux contrer, mon genou a craqué. J’ai été opéré cinq fois, on n’a pas insisté. Je devais arrêter.” Et c’est ainsi que Michel Preud’homme a débuté au Standard. “Il n’était pas le numéro deux, à vrai dire, car il y avait Jean-Paul Crucifix avant lui. Mais Jean-Paul s’est blessé à la tête. On ne saura jamais comment la carrière de Michel aurait tourné si je ne m’étais pas blessé, mais on ne peut pas nier qu’il avait un talent évident. Il aurait fait une grande carrière, quoi qu’il arrive.”
En fait, Piot a connu Preud’homme gamin. “Au début des années 70, on avait congé le mercredi et René Hauss voulait qu’on aille donner des entraînements dans les clubs de la région. Avec Jacky Beurlet, on allait à Ougrée, où s’entraînait Michel. Il avait 9-10 ans. Ce serait présomptueux de dire qu’on voyait qu’il avait le talent pour faire carrière. Mais il avait un petit quelque chose en plus. On habitait dans le même village, avec Michel, donc je le ramenais chez lui après l’entraînement.”